C’est autour d’une bière trop amère et d’un cornet de frites que Zig entendit parler pour la première fois d’archéo-accoustique. Oui, on est comme ça, nous. Et l’archéo-accoustique, c’est la discipline qui part à la recherche des sons du passé, pour les faire revivre ou les reconstituer. Le pitch, d’après notre « source » de l’autre côté du cornet de frites, était l’idée un peu saugrenue, mais pas totalement impensable, que des sons auraient pu être enregistrés mécaniquement dans la fabrication d’anciennes poteries. Sans le savoir, les outils du potier agiraient comme l’aiguille d’un tourne-disque, gravant à l’échelle micrométrique les bruits environnants dans l’argile en rotation. Et des archéologues, équipés de nos plus récentes technologies laser, auraient pu y lire le brouhaha typique d’un jour de marché en pleine activité. Il y aurait même une vidéo.
Sans Faire d’Histoire est donc parti à la recherche de la vérité au fond de cette affaire qui, si elle se révèle authentique, nous permettrait d’écouter non seulement les podcasts des gens d’aujourd’hui mais aussi les pots-casts de ceux d’hier. De quoi recharger la playlist pour les semaines de grosse consommation.
Le chant des céramiques
L’idée de sons « gravés » à même la terre cuite n’est pas nouvelle. La trace remonte aux années 60, dans un échange de lettres entre le magazine New Scientist et l’un de ses lecteurs, un certain Richard Woodbridge. Cet archéologue amateur rapporte deux expériences dans lesquelles il prétend avoir réussi à entendre respectivement le bruit de la pédale et celle du moteur électrique d’un tour de potier en plaçant sur le vase terminé un stylet relié par une cellule magnétique (du type de celles utilisées dans les tourne-disques) à une paire d’écouteurs.
Une troisième expérience consistait à diffuser de la musique ou à prononcer des mots devant une toile en cours de peinture. En passant ensuite le stylet sur les bandes de peinture séchées, on aurait réussi à entendre les sons auxquels l’oeuvre était exposée au moment de la fabrication. L’art abstrait en son et lumières!
Au début des années 1990, deux scientifiques suédois, Mendel Kleiner et Paul Aström ont tenté de placer un cylindre d’argile sous une aiguille fine soumise aux oscillations d’un dictaphone, puis de cuire le cylindre avant de le passer à la lecture du même dispositif. L’expérience a prouvé que certaines fréquences du son étaient bien conservées et qu’en termes de support, une poterie valait bien un vinyle. Les résultats sont publiés en 1993 dans la revue Archaeology and Natural Science, sous le titre The Brittle Sound of Ceramics: Can Vases Speak? De quoi vous faire regretter vos choix d’orientation à l’école doctorale.
Mais les artisans du passé étaient-ils pour autant suffisamment équipés pour que les sons environnant s’impriment à jamais dans leurs produits? Pour répondre à cette question, nous devons faire un petit détour pour parler de la nature du son.
Sans Faire d’Histoire, Police Sontifique
Un son se forme lorsqu’une source mécanique fait vibrer l’air qui l’entoure. Cette source mécanique peut être nos cordes vocales qui, en s’agitant, poussent les molécules d’air situées autour d’elles. Ces molécules font pression sur leurs voisines, formant une vague, une onde qui se propage. Cette onde vient à son tour s’imprimer sur le tympan de notre oreille, le faisant vibrer, ce qui nous informe sur la fréquence du son et son origine probable.
Pour enregistrer un son, il faut que les ondes de pression soient imprimées dans ou sur un matériau. Dans le cas d’un vinyle, une aiguille dont le bout est en diamant grave dans le plastique un sillon dont la largeur imite les ondes sonores. Dans le cas de notre podcast, c’est la membrane de nos micros qui, en vibrant, modifie l’intensité d’un courant électrique qui la traverse. Ce courant est ensuite analysé, numérisé et envoyé à nos chers auditeurs via les internets. Et voilà!
La difficulté lors de l’enregistrement est d’amplifier suffisamment le son que l’on veut conserver pour qu’il imprime des variations proportionnellement plus grandes que celles qui pourrait être imprimées par toutes sortes d’autres interférences. Pour le dire plus simplement: si vous chantez à voix haute tout en traçant une ligne au crayon sur une feuille, les variations de la ligne seront certainement plus importantes du fait du tremblement de votre bras, des vibrations de la table ou du fait que la feuille glisse, plutôt qu’en raison des ondes sonores que vous produisez.
Pour capturer le son, il faut donc l’amplifier en concentrant les ondes de pression, par exemple au moyen d’un cornet ou d’une membrane, tout en stabilisant le procédé d’inscription pour que rien ne bouge sinon en correspondance avec les ondes.
Tu as une belle voix, espèce d’amphore!
C’est cette dernière étape, celle de l’amplification et de la stabilisation, qui est susceptible d’avoir manqué à nos ancêtres. En effet, en l’absence de ces techniques, les variations additionnelles des sons humains par rapport aux interférences propres à l’activité d’un tour de potier seraient, au mieux, du même ordre que la taille des particules d’argile elles-mêmes. Autrement dit, irrécupérables par la science moderne.
Aussi, c’est avec une certaine stupéfaction que la communauté des acoustico-archéologues amateurs découvre en 2006 une vidéo d’une équipe de scientifiques belges qui prétendent avoir reconstitué les bruits d’un marché romain à Pompéi à partir d’une poterie. La vidéo, qui ne semble plus exister en ligne, était en fait un poisson d’avril. A ces belges, quel manque de sérieux tout de même!
Mais la légende urbaine continue de se propager et apparait dans des séries comme CSI ou X-Files. Dans cette dernière, le support envisagé est le Bol de Lazare, qu’un potier aurait fabriqué à l’instant même où le Christ ordonnait à Lazare de revenir de parmi les morts. Cependant, quand on tape « bol de lazare » sur Google, on trouve en premier résultat un article du Figaro: Gare Saint-Lazare, le ras-le-bol des usagers. Comme quoi, c’est plutôt eux qu’on entend aujourd’hui. Récemment, la très célèbre série de téléréalité Mythbusters tente de reproduire les expériences de Woodbridge, mais échoue et classe l’affaire du côté de l’intox.
Tout cela met les internautes à cran: « Ce qui m’étonne, écrit un invité sur le forum Cassiopaea.org, c‘est qu’il y a de nombreux canulars qui sont organisés autour de cette découverte. Je ne sais pas si c’est une coïncidence ou si c’est une tentative délibérée de discréditer ces recherches. Une chose est sûre, les gens se donnent du mal pour empêcher la réalité de sortir au grand jour. » Comme quoi, rien n’est trop ténu pour ne pas y voir un complot.
Du vieux son, c’est du bon son
Il n’en reste pas moins que les sons les plus anciens nous ont été transmis de cette manière. Dix-sept ans avant le phonographe d’Edison, l’imprimeur Edouard-Léon Scoot de Martinville invente le phonautographe, une machine composée d’un tonneau de plâtre relié à un stylet, ce dernier imprimant les variations sonores sur une feuille de papier que l’on déroule en actionnant une manivelle. A l’époque, il n’existait aucun moyen de repasser de l’impression à la diffusion, faisant de la machine un enregistreur sans diffuseur. Mais des équipes modernes ont pu réinterpréter les bandes, les rejouer, et ainsi faire renaitre la voix de l’inventeur, chantant lentement « Au Clair de la Lune » à son appareil, il y a plus de cent cinquante ans. Allez-y, cliquez, écoutez, et osez dire après que vous n’êtes pas un peu ému, quand même.
Les théâtres grecs, les chœurs des cathédrales démontrent que nos ancêtres avaient une très haute connaissance pratique de l’acoustique et du son. Il ne faut pas exclure que certains aient essayé d’en conserver la trace dans des matériaux, dont on saura restituer un jour le contenu. Même si Stonehenge n’est peut-être pas le plus grand disque vinyle du néolithique, comme le prétend cet article, il se pourrait qu’un jour, en plus de nous retrouver à vos heures perdues depuis votre Ipod, vous entendiez les hurlements d’une matrone vénitienne demandant si la vaisselle est faite jusqu’à en imprimer des vagues sur le stuc des fresques de sa villa.
Qui sait? D’ici là, il faudra continuer à imaginer.
En plus des sources déjà citées, cet article se base sur les échanges entre abonnés de ce Google Group consacré à ce sujet, ainsi que sur ce court article faisant l’état du pour et du contre dans cette théorie un peu farfelue.