A la recherche des plus vieux sons du monde

C’est autour d’une bière trop amère et d’un cornet de frites que Zig entendit parler pour la première fois d’archéo-accoustique. Oui, on est comme ça, nous. Et l’archéo-accoustique, c’est la discipline qui part à la recherche des sons du passé, pour les faire revivre ou les reconstituer. Le pitch, d’après notre « source » de l’autre côté du cornet de frites, était l’idée un peu saugrenue, mais pas totalement impensable, que des sons auraient pu être enregistrés mécaniquement dans la fabrication d’anciennes poteries. Sans le savoir, les outils du potier agiraient comme l’aiguille d’un tourne-disque, gravant à l’échelle micrométrique les bruits environnants dans l’argile en rotation. Et des archéologues, équipés de nos plus récentes technologies laser, auraient pu y lire le brouhaha typique d’un jour de marché en pleine activité. Il y aurait même une vidéo.

Sans Faire d’Histoire est donc parti à la recherche de la vérité au fond de cette affaire qui, si elle se révèle authentique, nous permettrait d’écouter non seulement les podcasts des gens d’aujourd’hui mais aussi les pots-casts de ceux d’hier. De quoi recharger la playlist pour les semaines de grosse consommation.

Le chant des céramiques

L’idée de sons « gravés » à même la terre cuite n’est pas nouvelle. La trace remonte aux années 60, dans un échange de lettres entre le magazine New Scientist et l’un de ses lecteurs, un certain Richard Woodbridge. Cet archéologue amateur rapporte deux expériences dans lesquelles il prétend avoir réussi à entendre respectivement le bruit de la pédale et celle du moteur électrique d’un tour de potier en plaçant sur le vase terminé un stylet relié par une cellule magnétique (du type de celles utilisées dans les tourne-disques) à une paire d’écouteurs.

Une troisième expérience consistait à diffuser de la musique ou à prononcer des mots devant une toile en cours de peinture. En passant ensuite le stylet sur les bandes de peinture séchées, on aurait réussi à entendre les sons auxquels l’oeuvre était exposée au moment de la fabrication. L’art abstrait en son et lumières!

Au début des années 1990, deux scientifiques suédois, Mendel Kleiner et Paul Aström ont tenté de placer un cylindre d’argile sous une aiguille fine soumise aux oscillations d’un dictaphone, puis de cuire le cylindre avant de le passer à la lecture du même dispositif. L’expérience a prouvé que certaines fréquences du son étaient bien conservées et qu’en termes de support, une poterie valait bien un vinyle. Les résultats sont publiés en 1993 dans la revue Archaeology and Natural Science, sous le titre The Brittle Sound of Ceramics: Can Vases Speak? De quoi vous faire regretter vos choix d’orientation à l’école doctorale.

Mais les artisans du passé étaient-ils pour autant suffisamment équipés pour que les sons environnant s’impriment à jamais dans leurs produits? Pour répondre à cette question, nous devons faire un petit détour pour parler de la nature du son.

Sans Faire d’Histoire, Police Sontifique 

Un son se forme lorsqu’une source mécanique fait vibrer l’air qui l’entoure. Cette source mécanique peut être nos cordes vocales qui, en s’agitant, poussent les molécules d’air situées autour d’elles. Ces molécules font pression sur leurs voisines, formant une vague, une onde qui se propage. Cette onde vient à son tour s’imprimer sur le tympan de notre oreille, le faisant vibrer, ce qui nous informe sur la fréquence du son et son origine probable.

Pas le genre d’image que vous vous attendez à trouver sur le blog d’un podcast historique.

Pour enregistrer un son, il faut que les ondes de pression soient imprimées dans ou sur un matériau. Dans le cas d’un vinyle, une aiguille dont le bout est en diamant grave dans le plastique un sillon dont la largeur imite les ondes sonores. Dans le cas de notre podcast, c’est la membrane de nos micros qui, en vibrant, modifie l’intensité d’un courant électrique qui la traverse. Ce courant est ensuite analysé, numérisé et envoyé à nos chers auditeurs via les internets. Et voilà!

La difficulté lors de l’enregistrement est d’amplifier suffisamment le son que l’on veut conserver pour qu’il imprime des variations proportionnellement plus grandes que celles qui pourrait être imprimées par toutes sortes d’autres interférences. Pour le dire plus simplement: si vous chantez à voix haute tout en traçant une ligne au crayon sur une feuille, les variations de la ligne seront certainement plus importantes du fait du tremblement de votre bras, des vibrations de la table ou du fait que la feuille glisse, plutôt qu’en raison des ondes sonores que vous produisez.

Pour capturer le son, il faut donc l’amplifier en concentrant les ondes de pression, par exemple au moyen d’un cornet ou d’une membrane, tout en stabilisant le procédé d’inscription pour que rien ne bouge sinon en correspondance avec les ondes.

Tu as une belle voix, espèce d’amphore!

C’est cette dernière étape, celle de l’amplification et de la stabilisation, qui est susceptible d’avoir manqué à nos ancêtres. En effet, en l’absence de ces techniques, les variations additionnelles des sons humains par rapport aux interférences propres à l’activité d’un tour de potier seraient, au mieux, du même ordre que la taille des particules d’argile elles-mêmes. Autrement dit, irrécupérables par la science moderne.

Aussi, c’est avec une certaine stupéfaction que la communauté des acoustico-archéologues amateurs découvre en 2006 une vidéo d’une équipe de scientifiques belges qui prétendent avoir reconstitué les bruits d’un marché romain à Pompéi à partir d’une poterie. La vidéo, qui ne semble plus exister en ligne, était en fait un poisson d’avril. A ces belges, quel manque de sérieux tout de même!

Mais la légende urbaine continue de se propager et apparait dans des séries comme CSI ou X-Files. Dans cette dernière, le support envisagé est le Bol de Lazare, qu’un potier aurait fabriqué à l’instant même où le Christ ordonnait à Lazare de revenir de parmi les morts. Cependant, quand on tape « bol de lazare » sur Google, on trouve en premier résultat un article du Figaro: Gare Saint-Lazare, le ras-le-bol des usagers. Comme quoi, c’est plutôt eux qu’on entend aujourd’hui. Récemment, la très célèbre série de téléréalité Mythbusters tente de reproduire les expériences de Woodbridge, mais échoue et classe l’affaire du côté de l’intox.

Tout cela met les internautes à cran: « Ce qui m’étonne, écrit un invité sur le forum Cassiopaea.org, c‘est qu’il y a de nombreux canulars qui sont organisés autour de cette découverte. Je ne sais pas si c’est une coïncidence ou si c’est une tentative délibérée de discréditer ces recherches. Une chose est sûre, les gens se donnent du mal pour empêcher la réalité de sortir au grand jour. » Comme quoi, rien n’est trop ténu pour ne pas y voir un complot.

Du vieux son, c’est du bon son

Il n’en reste pas moins que les sons les plus anciens nous ont été transmis de cette manière. Dix-sept ans avant le phonographe d’Edison, l’imprimeur Edouard-Léon Scoot de Martinville invente le phonautographe, une machine composée d’un tonneau de plâtre relié à un stylet, ce dernier imprimant les variations sonores sur une feuille de papier que l’on déroule en actionnant une manivelle. A l’époque, il n’existait aucun moyen de repasser de l’impression à la diffusion, faisant de la machine un enregistreur sans diffuseur. Mais des équipes modernes ont pu réinterpréter les bandes, les rejouer, et ainsi faire renaitre la voix de l’inventeur, chantant lentement « Au Clair de la Lune » à son appareil, il y a plus de cent cinquante ans. Allez-y, cliquez, écoutez, et osez dire après que vous n’êtes pas un peu ému, quand même.

Les théâtres grecs, les chœurs des cathédrales démontrent que nos ancêtres avaient une très haute connaissance pratique de l’acoustique et du son. Il ne faut pas exclure que certains aient essayé d’en conserver la trace dans des matériaux, dont on saura restituer un jour le contenu. Même si Stonehenge n’est peut-être pas le plus grand disque vinyle du néolithique, comme le prétend cet article, il se pourrait qu’un jour, en plus de nous retrouver à vos heures perdues depuis votre Ipod, vous entendiez les hurlements d’une matrone vénitienne demandant si la vaisselle est faite jusqu’à en imprimer des vagues sur le stuc des fresques de sa villa.

Qui sait? D’ici là, il faudra continuer à imaginer.

En plus des sources déjà citées, cet article se base sur les échanges entre abonnés de ce Google Group consacré à ce sujet, ainsi que sur ce court article faisant l’état du pour et du contre dans cette théorie un peu farfelue.

Jamais #20 sans Troie

Hier ist mein BLING

Hier ist mein BLING

EPISODE 20! Moment merveilleux dans notre jeune carrière podcastique, qui nous emplit d’une mûre fierté! Si vous comptez sur vos hôtes pour vous révéler que :

  • seul Zig fait le montage parce que Puce sux,
  • que très souvent nous maudissons la SNCF pendant la réalisation de SFdH, et
  • que l’un d’entre nous connaît vraiment trop bien l’histoire de la syphilis;

eh bien ne comptez plus, car nous ne verserons pas dans le ragot de bas étage!

Nous verserons plutôt dans la ruine troyenne, car le gentil monsieur là dans sa fourrure c’est Heinrich Schliemann, chasseur d’or devenu chasseur de ville disparue. Troie, mythe ou réalité? Schliemann, fraude ou héros? Achille, blond ou caniche? Et notre jeu-concours, swag ou pas swag? Ecoutez et découvrez la réponse à toutes ces questions les amis! A bientôt!

Ecoutez notre épisode ici.

Le gentil monsieur là c'est un Américain avec une perruque

Le gentil monsieur là c’est un Américain avec une perruque

Palissades, barricades et affichettes: 1848, le premier âge de l’écriture urbaine

C’est un peu par hasard, après une virée à Bastille et un arrêt dans une librairie non loin de là, que le livre de Philippe Artières, La police de l’écriture, est atterri entre les mains de Zig. Sa passion pour l’histoire de la typographie fut bien vite contrariée car ce n’était pas de la police d’écriture Comic Sans MS qu’on traitait, mais bien de la police en uniforme, sans serif, et de ses efforts pour comprendre, encadrer et surveiller la prolifération des affiches politiques ou commerciales dans les rues de Paris devenu un vrai chaudron révolutionnaire.

1848, la révolution se fait sur les murs

Au travers d’un autre ouvrage, de 1852 celui-là, par Alfred Delvau, on découvre la richesse de ces placards à l’occasion de la Seconde Révolution. En voici un florilège, composé par Sans Faire d’Histoire et qui vous démontrera qu’avant Twitter, on savait déjà diffuser sens (du non-sens) en 140 caractères à peine.

 Toutes les affiches qui suivent sont tirées de la version en ligne sur l’OpenLibrary de l’ouvrage « Les Murailles Révolutionnaires » d’Alfred Delvau, que l’on peut consulter à cette adresse

Quand la signature est plus grosse le texte, il y a de l'abus

Quand la signature est plus grosse le texte, il y a de l’abus.

Résumons. En trois jours de février 1848, Paris fait tomber la Monarchie de Juillet, chasse Louis-Philippe, le roi bourgeois un peu bonne poire, et proclame la Seconde République. Aussitôt, les imprimeurs se voient débordés de commandes visant à couvrir les murs de messages politiques aux formules très solennelles.

Le régiment industriel, ça sonne assez steampunk vous ne trouvez pas?

Le régiment industriel, ça sonne assez steampunk, vous ne trouvez pas?

Ces affiches créent parfois de tels attroupements au coin des rues que bientôt leur pose est interdite à moins de deux mètres cinquante d’une intersection. Certains bandeaux comptent plus d’une centaine de lignes, d’autres messages frappent par leur concision et la force d’application directe de leur propos:

Où l'on voit que les imprimeurs se font payer à la lettre.

Où l’on voit que les imprimeurs se font payer à la lettre.

D’autres encore font sourire par la fréquence insistante à laquelle certains mots clés sont répétés:

Lamartine pas toujours brillant pour trouver des synonymes.

Lamartine pas toujours brillant pour trouver des synonymes.

On imprime en moyenne entre cinq et six affiches par jour, plus à l’occasion des grands évènements (manifestations, proclamations, élections). Si toutes les affiches ont en commun un usage immodéré du vocatif (« Citoyens! »), certaines en viennent à proclamer des informations au final assez peu utiles en dehors de quelques intéressés:

Et du pain, du café et des biscuits.

Et du pain, du café et des biscuits.

Des invectives à l’attention des « Communistes Icariens » jusqu’aux tarifs du pain en passant par la réouverture du Musée du Louvre, toute la vie publique parisienne finit contre les murs, dans une telle confusion que bientôt le gouvernement se sent obligé d’interdire « la circulation des écrits dont personne ne répond » et qui « donne lieu à des faux audacieux ». Sans grand résultat, il faut bien l’avouer.

Certains messages font sourire par leur actualité, comme « le gouvernement qui vient de tomber conduisait systématiquement vers l’abîme les finances du pays »,  « réduire les contributions et supprimer les impôts injustes » ou encore « les bénéfices devront être répartis entre tous les travailleurs, les pertes restant à la charge du capital ». « Dans presque toutes les maisons, il y a des pauvres » s’exclame une affiche de promotion des actions sociales d’un bataillon de la garde nationale. « Nul n’a donc plus que moi le droit de se dire républicain! » proclame la profession de foi d’un certain M. Bizet, qui depuis s’est fait doublé par d’autres républicains qui l’étaient plus que lui.

Bien sûr, la révolution trouve son lot de solutions radicales, comme en témoigne cette affiche signée par un certain « Alexis, mécanicien des 6° et 8° arrondissements ».

Ca existe, un mécanicien dans le 6° et le 8°?

Car rien ne dit plus « je vais rembourser » que « et si on imprimait du pognon? »

C’est aussi sur les murs de Paris en 1848 que fleurit la devise nationale dans la forme qu’on lui connait aujourd’hui, « Liberté, Egalité, Fraternité ». La troisième république, trente ans plus tard, passera du papier à la pierre et l’inscrira au fronton des bâtiments publics. Une affiche prenant à parti les candidats à l’élection constituante à Marseille les invective en ces mots: « qu’espérez vous de la Liberté, qu’espérez-vous de l’Egalité, comment entendez-vous l’exercer, quelles sont les obligations que vous impose la Fraternité, devise de la Nation et de la république, tant au dedans qu’au dehors? ».

Vous l’aurez compris chers lecteurs, ce n’est pas sur ce blog qu’on fait de la politique (nos petits poumons ne rivalisent pas avec les gros caractères de ces affiches). Mais parcourir, même en diagonale, cet ouvrage de Delvaux et celui de Philippe Artières nous a rappelé à quel point le médium écrit, depuis les murs de la ville jusqu’aux réseaux sociaux a été le support et la courroie des révolutions.

#salutfraternel, comme on disait à l’époque.

Episode #19: Ce faquin de Mazarin

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A celuy ou cesle qui nous escoutera, une nouvesle Mazarinade du siècle vingt-et-uniesme

Je te parle aujourd’hui de celui si connu

Son nom exprimé, aussitôt retenu,

Issu de l’Italie mais glorieux en France

Qui de nostre cher Roy put protéger l’enfance

Cardinal sans être prêtre et ministre premier

Il sut bien du Trésor détourner les deniers

Anne l’Autrichienne l’aima à la folie

Pour autant il n’est pas Papa de Grand Louis

Il punit les Frondeurs, fit monter les impôts

Négocia la paix pas une minute trop tôt

Ecoute-nous bien, et tente bien de nous croire,

Mazarin est le héros de Sans Faire d’Histoire.

Retrouvez notre dernier épisode sur ce fameux cardinal ici!

Le mystère du cataclysme de 1258

Nous n’étions pas sur place, mais d’après nous, ça aurait pu se passer comme ça:

Le vieux moine frissonne et rabat son capuchon sur son crâne. La pleine Lune éclaire la campagne du Suffolk. Un fin manteau de brouillard s’étend entre les chaumières, les bosquets et les prairies. Du haut de la tour de garde de l’abbaye, la plus haute des environs, John de Taxster et son assistant Frianus lèvent les yeux vers le ciel. Malgré un léger voile nuageux, le disque plat de la Lune vient d’être entamé par un croissant noir.

– Regarde, mon bon Frianus, s’exclame le moine John. Dans quelques instants l’éclipse sera complète.

Le souffle des deux hommes se condense dans l’air nocturne. Quelques instants plus tard, le cône d’ombre de la Terre recouvre parfaitement le disque lunaire. On ne distingue plus rien, pas même le moindre croissant. Le jeune assistant pousse un cri:

– Quel mystère! La Lune vient donc de disparaitre entièrement!

– Elle se cache, mon bon Frianus, et ne va pas tarder à réapparaitre.

En effet, on devine bien vite un nouveau croissant de clarté. John de Taxter est satisfait. Il secoue ses bras engourdis par le froid et donne une tape sur la tonsure de son jeune acolyte pour le diriger vers l’escalier de la tour. Le froid ronge ses chevilles et s’infiltre sous sa chasuble. Le mois de mai 1258 touche à sa fin et le soleil n’a pas encore daigné mettre fin à l’hiver.

De retour dans son écritoire, John compose un rapide tweet dans sa monumentale chronique:

#Chronica Abbreviata

#ChronicaAbbreviata

C’est cet adjectif totalis qui a fait sourciller les historiens modernes. John de Taxster n’en était pas à décrire sa première éclipse. Lui et ses contemporains, tel Matthew Paris, décrivent habituellement ce phénomène avec le terme generalis (typique) et ajoutent parfois rubei coloris, c’est à dire d’une couleur rouge. Les astronomes amateurs connaissent bien ce phénomène de réflexion de l’atmosphère terrestre qui teinte la Lune d’une lueur rouge-orange lors d’une éclipse totale. Mais le 18 mai 1258, quelque chose dans l’atmosphère a obscurci la lumière sélénite.

Le fonds de l’air est frais

Tout au long des années 1258 et 1259, un faisceau de témoignages de diverses sources historiques font état d’un climat chaotique sur toute l’Europe. Après un printemps abominable, l’été se révèle pluvieux et désastreux pour les cultures. Le moine Richer de Senones écrit depuis son monastère dans les Vosges:

« Que diray ie des fruicts de ceste année? […] l’indisposition du temps étoit si grande qu’à peine l’ardeur du soleil pouuoit rayonner sur la terre. […] Car le long de cest esté furent tant frequentes et durables les nues et brouillards pluuieux, qu’on l’eut plustost estimé être un automne qu’un esté. En premier lieu, le foing ne peut être seichy pour les pluyes incessamment tombées de l’air ; la moisson semblablement fut tant abbatue de pluyes et humiditez, qu’elle fut retardée iusques en septembre »

La vendange, sur laquelle comptaient les paysans dont la récolte de blé avait ainsi été ruinée, se voit massacrée par des grêles d’octobre extrêmement violentes. Richer convient que ces catastrophes « non seulement advint en ce pays, mais aussy aux regions plus lointaines ».

Car de partout en Europe et jusqu’au Moyen-Orient nous proviennent des récits de récoltes avortées, de grains pourrissant dans l’air humide et de semis ralentis par les gelées précoces. En fait, de 1258 à 1261, le climat européen semble s’être brusquement déréglé, enchainant vagues de chaleur et pics de froid, orages d’été et tempêtes de neige. Matthew Paris, le plus célèbre chroniqueur anglais de la période, écrit que le printemps 1258 était si froid que « partout le sol était gelé, interrompant les cultures et emportant le jeune bétail ».

En Belgique, ça s’appelle juillet

Dans les sociétés médiévales, l’échec des récoltes entraine rapidement des famines généralisées. « Quand passèrent Avril, Mai et le début de Juin, raconte Matthew Paris, et qu’on ne voyait aucun signe [de vie], même de rares plantes ou de fleurs, un très grand nombre de pauvres moururent de la pénurie de blé. On pouvait trouver des cadavres partout, gonflés et livides, alignés par cinq ou six dans des trous, le long des talus et jusque dans les rues. Quand on en rassemblait un suffisamment grand nombre, ils étaient déposés dans de grandes fosses« .

Ces témoignages sont corroborés par la découverte de nombreux ossements datant du milieu du 13ème siècle, dans le cimetière de St Mary Bishopgate. Alors que les sépultures de cette abbaye accueillaient généralement moins de dix corps chacune, celles des années 1250 renferment jusqu’à quarante squelettes alignés.

Partout, les prix des denrées alimentaires explosent et, bientôt, même la monnaie courante se fait rare, tandis que l’Etat et l’Eglise augmentent leurs prélèvements pour nourrir tant bien que mal leurs propres agents et mercenaires. Le roi Henri III se voit contraint d’importer de Hollande et d’Allemagne du blé et de la farine pour venir en aide aux plus démunis.

Une ambiance de fin du monde

Rien n’est plus vendeur pour une apocalypse médiévale qu’une bonne combinaison famine-guerre-invasions-maladies. En Italie du Nord, les mauvaises récoltes se conjuguent la reprise du grand championnat du 13ème siècle entre Guelfes et Gibelins. Au Moyen-Orient, la famine est l’origine d’épidémies qualifiées de « pestes ». On ne sait pas s’il s’agit de peste bubonique, comme on la connaitra en Europe au 14ème siècle, ou bien d’autres maladies. Pour en rajouter une couche, 1258 est aussi l’année de la chute de Bagdad et du Califat des Abbassides devant les Mongols de Houlagou Khan, qui prend soin d’annoncer son arrivée par de charmants faire-parts, comme celui-ci:

« Quand je conduirai mon armée contre Bagdad en colère, que vous vous cachiez au paradis ou sur la terre […] je vous retournerai en l’air comme un lion, je ne laisserai personne vivant dans votre royaume, je vais brûler votre ville, votre pays et vous aussi. »

Ça en fait beaucoup pour l’homme médiéval moyen, très croyant, et assuré qu’après 1250 ans de laisser-aller Dieu et ses Anges ne sont plus très loin du bouton rouge du Jugement Dernier. Un renouveau des mouvements pénitents se produit au printemps 1260, dans l’Italie centrale. Ces « flagellants » organisent de grandes processions dans lesquelles les hommes, marchant en deux colonnes, se fouettent le dos jusqu’au sang, dans une tentative de racheter par la souffrance les pêchés qui leur ont attiré un si mauvais karma. Si les revendications sont d’abord religieuses (le Salut) et politiques (la paix), le mouvement s’amplifie lorsqu’il est rejoint par la paysannerie poussée à bout par les pénuries.

« Pie Iesu Domine. Dona eis Requiem », comme ils disent dans Sacré Graal

La glace, notre mémoire à tous

Les braves gens comme nous mangent des crèmes glacées pour oublier. Mais la glace, elle, se souvient de tout. Les paléoclimatologues, quand ils ne sont pas occupés à cosigner le livre Climate Change for Dummies, examinent avec attention les petites bulles d’air que la glace a enfermées depuis des millénaires. Celles de la période qui nous intéresse révèlent des indices supplémentaires. Entre 1259 et 1261, de très grandes quantités de dérivés de soufre ont été déchargées dans l’atmosphère, ainsi que des poussières et des aérosols.

Pour rejeter d’immenses quantités de SO2 dans l’atmosphère, il faut avoir avec soi une armée de centrales électriques à charbon, ou provoquer l’éruption d’un supervolcan. En 1258, on penche plutôt pour la seconde option. Et un supervolcan tropical, qui plus est, car les dépôts de poussières se retrouvent aussi bien en Arctique qu’en Antarctique, ainsi que dans les sédiments profonds du lac Malawi en Afrique Orientale.

Un supervolcan gros comment? Sans Faire d’Histoire a demandé au plus célèbre des consultants en matière d’éruption explosives, expert du sujet depuis presque deux mille ans, il s’agit bien sûr de Pline le Jeune! Témoin en 79 ap. J.C. de l’éruption cataclysmique du Vésuve et de la destruction de Pompeï, le jeune intellectuel latin, qui a donné son nom au phénomène (une éruption plinienne), nous a dit que:

« L’éruption de 1258 est pour moi l’exemple même d’une éruption ultraplinienne, c’est à dire des dizaines de fois plus puissante que celle à laquelle j’ai assisté. Les scientifiques estiment qu’entre 300 et 600 millions de tonnes d’ions soufrés ont été projetés par le volcan, dont une bonne partie est restée dans l’atmosphère. Ce volcan était probablement deux fois plus puissant que le Tambora en 1815, et huit fois plus que le Krakatoa en 1883. »

Merci Pline.

Voilà ce qui arrive quand tu ne finis pas ta soupe, Marcus!

 Le grand cluedo des volcans 

Où se trouvait ce fameux supervolcan? Aussi étrange que ça puisse paraitre, plusieurs suspects se sont manifestés et nous ne sommes pas encore certain d’avoir localisé le coupable. Le très bien nommé blog Eruptions passe en revue les mérites de chacun de ces géants au sommeil léger: El Chichon au Mexique, le Quilotoa en Equateur, le Harra es-Sawâd en Arabie Saoudite… Plus récemment, en septembre 2013, un groupe de chercheurs internationaux emmené par Franck Lavigne de l’Université Paris 1 jette la pierre ponce sur le volcan Samalas, sur l’île de Lombok, en Indonésie.

Si nous étions capables de comprendre l’ensemble des preuves avancées par Lavigne et son équipe, nous ne serions probablement pas en train d’écrire un blog historique un peu décalé. Il y a quand même les dépôts de cendre observés tout autour de ce volcan, et la correspondance de leur composition chimique avec les dépôts retrouvés dans les glaces des pôles. Et puis il y a ce texte écrit en vieux javanais sur des feuilles de palmier, qui remonte au 13ème siècle et qui dit en substance:

« La montagne Rinjani et le mont Samalas se sont effondrés. Les inondations et la roche ont dévalé les pentes, écrasant la ville de Pamatan. Les maisons se sont effondrées, emportées par la boue, flottant jusque dans la mer. Beaucoup de gens sont morts. Pendant sept jours, les habitants de Leneng sont restés bloqués par les roches à la dérive et les tremblements de terre. A Nangang et Palmoran, de grosses pierres, des épines, des pierres d’encens [pierres ponces?] et du sable ont atterri sur le village. Tous ont fuit avec la reine, s’abritant comme ils pouvaient à Lombok, où, après le silence, ils ont reconstruit les villages, à leur place respective. » (Babad Lombok & Google Traduction à la sauce Zig)

Quand Volcan fâché, lui toujours faire ainsi.

Pamatan, la capitale du royaume, serait, elle, toujours sous les cendres. De quoi donner des idées à ceux qui aiment creuser et qui n’ont pas trop de chance au déterrage de spitfires en Birmanie, par exemple.

L’âge de glace 4, version court métrage

Au-delà des récits de destruction et des conséquences climatiques dont on a déjà parlé, les experts qui se sont penchés sur la question pensent également que l’éruption du supervolcan de 1258 est en partie responsable du « petit âge glaciaire » qui a dominé le climat européen et mondial de la fin du 13ème siècle jusqu’au milieu du 18ème siècle. En effet, les cendres et les aérosols projetés haut dans la stratosphère auraient bloqué suffisamment longtemps le rayonnement solaire pour refroidir durablement le système climatique.

#paroledemedieval

#paroledemedieval

Alors la prochaine fois que vous parlerez du mauvais temps avec votre concierge ou vos collègues de bureau, vous aurez quelque chose à raconter qui changera des mondanités habituelles!

Cet article est basé en grande partie sur les publications de Richard STOTHERS, Climatic and demographic consequences of the massive volcanic eruption of 1258, Institute for Space Studies, NASA, New-York, 2013 et de Franck LAVIGNE et al., Source of the Great A.D. 1257 mystery eruption unveiled, Samalas volcano, Rinjani Volcanic Complex, Indonesia, septembre 2013, in Proceedings of the National Academy of Sciences, Etats-Unis. Nous nous sommes également inspirés du blog Medieval Histories qui a publié sur le sujet un article daté du 3 octobre 2013. Les chroniques françaises de Richier sont disponibles en texte complet sur le site de la Commune de Blâmont (54) tandis que les témoignages des chroniqueurs anglais sont disponibles dans leur langue originale sur le site de la British Library ou sur The Online Medieval Source Bibliography. Si certains de nos auditeurs comprennent le javanais, ils peuvent se rendre sur cette page pour lire le texte original du Babad Lombok.

Le tweet de John de Taxster a été généré grâce au site simitator.com.

Episode #18: Chasse, pimbêches et audition

Devenez chien de chasse, qui disaient, vous verrez du pays qui disaient

Devenez chien de chasse, qui disaient, vous verrez du pays qui disaient

Taïaut! Taïaut!

Attention chers auditeurs, il s’agit de ne pas faire trop de bruit, nous sommes à l’affût! Aujourd’hui nous sommes fiers de vous présenter un opus sur les divers aspects de la chasse, cet art paléolithique toujours remis au goût du jour. Pour vous amener quelques amusantes et informatives anecdotes, Zig et Puce n’ont reculé devant rien: ni devant les kiosques pour acheter la presse spécialisée (cace-dédi à Perdrix Magazine), ni devant la peur d’offusquer notre auditorat végétalien (faut prendre des risques pour élargir notre image de marque).

On a l’impression de le dire à chaque fois, mais c’est fou comme nos sujets nous surprennent, et combien la chasse s’est révélée un de nos podcasts les plus amusants à faire. Laissez vos préjugés (et le tofu) à la maison! Loin des clichés sur les dimanches bien arrosés avant la séance de gabion, nous vous proposons un itinéraire historique qui nous emmène de l’âge de glace à Tony Blair, avec comme accompagnements à ces venaisons de choix un best of des accidents de chasse les plus fous du Moyen-Age.

Comme toujours, on se retrouve dans les commentaires pour une liste non-exhaustive de nos sources et de nos magazines préférés sur le sujet!

VOICI NOTRE PODCAST: Episode 18 – Une histoire de la chasse

Sans Faire d'Histoire répugne toujours à tomber dans la caricature

Sans Faire d’Histoire répugne toujours à tomber dans la caricature

Ceci n’est pas un post sponsorisé par Sanglier Passion.

Une histoire du test de grossesse

« If ye water turns blue, a baby for you! If purple ye see, no baby thar be! If ye test should fail, to a doctor set sail! »
The Simpsons, Episode 47, December 26,1991.

Comment savoir? A une époque où les allocations familiales étaient (encore) moins généreuses qu’aujourd’hui et où l’on avait clairement moins d’imagination pour trouver de nouveaux prénoms, s’informer de l’arrivée d’un nouvel enfant était, pour bien des familles, une question capitale.

Il y a bien des signes qui ne trompent pas, comme l’arrêt du cycle menstruel, ou, pour les plus favorisés, une annonciation en grande pompe par un ange envoyé du ciel.

« Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. » Evangile selon Luc, 1:31.

Clair, précis et irrévocable.

Vous avez (1) nouveau message.

Pour toutes les autres, il a fallu faire avec les moyens du bord. Sans Faire d’Histoire vous emmène aujourd’hui à la rencontre des pratiques, authentiques mais pas toujours fiables, permettant à une femme de savoir s’il est enceinte ou non.

Where do babies come from

Sans entrer dans la technique ni déflorer le mystère de la conception, la fécondation des gamètes a pour premier effet, chez la femme, de déclencher un important flot d’hormones, qui à leur tour mettent en route le processus de grossesse. Ces hormones, entre temps, sont évacuées dans l’urine. Et c’est là que nos affaires de tests commencent.

On a la trace, dans plusieurs papyrus médicaux datant, pour le plus ancien, dit Papyrus Ebers, de 1750 av JC, de tests destinés à révéler si une femme était enceinte. Le test consistait pour la femme à uriner directement sur des graines de blé et d’orge. La germination rapide des graines devait signaler si la femme était enceinte. Si les graines de blé germaient en premier, l’enfant serait une fille, si c’était l’orge, ce serait un garçon.

« He made the barley come forth from man.
He made the wheat come forth from woman. »

Etrange, n’est-ce pas? En fait, il s’avère que dans une petite majorité de cas (70%, nous disent des biologistes égyptiens ayant reconduit l’expérience de nos jours), le test s’avère fiable: le taux élevé d’œstrogènes dans l’urine pouvait en effet déclencher la germination des grains. Par contre, pas de lien avéré entre la nature des grains et le sexe de l’enfant. Dommage. On repassera aussi sur la faisabilité, l’hygiène ou simplement le temps nécessaire au retour des résultats.

D’autres tests rapportés par les documents égyptiens consistaient en une examination des yeux de la patiente, ou en provoquant des vomissements, peut-être en lien avec le syndrome de morning sickness propre aux premières semaines de la grossesse. On peut aussi citer les techniques suivantes, plus spéculatives:

Strike […] her upon her lip, the tip of thy finger upon the top of her shoulder; [if she] twitches [she will bear a child] [but if she does] not twitch, she will not bear a child ever. Papyrus Kahun

Say « O thou calf of Horus, I am upon Horus: » 
« If (anything) fall from her nostril she will bear a child, but if [some other outcome] she [will not bear a child] ever. » Papyrus Kahun

La médecine égyptienne nous a habitués à ce genre de recette, mi-magique mi-empirique. Les papyrus médicaux renferment bien d’autres  conseils en ce qui concerne la contraception, l’avortement ou le diagnostic d’infertilité. Vous pourrez en retrouver la description ici, certains risquant de nous obliger à fermer ce site à un public non averti.

C’est un garçon! Je vous l’avais blé dit!

De biens étranges médecins

L’existence d’une médecine dans les textes en Egypte ne signifie pas pour autant que les tests de grossesse ou les outils de planning familial étaient pratiqués en masse à l’époque antique. Au Moyen-Age, on retrouve la trace de tests de grossesse assez particuliers. Des médecins spécialisés prétendaient en effet expertiser l’urine d’une femme au regard, à l’odeur ou, en dernier recours, au goût. Quel goût peut avoir l’hormone hCG? Vous reprendrez bien une petite dose d’œstrogènes! Etrangement, aucun biologiste contemporain n’a proposé de reproduire l’expérience avec une cohorte de patients et des médecins volontaires. Cela rendrait le travail de sélection des IgNobels bien trop facile.

Là encore, derrière la spéculation, se cache un fond de réalité. Il était courant de mélanger l’urine à de l’alcool très pur, et d’examiner les précipitations. On sait désormais que certaines hormones réagissent en présence d’alcool, ce qui pouvait aider à confirmer la grossesse.

Un universitaire du 13ème siècle, Albert Magnus, décrit un test consistant à donner à boire à la patiente une boisson très sucrée. Si la femme se réveillait avec une douleur au nombril, elle était enceinte. Mais Magnus précise qu’il faut éviter d’expliquer à la femme le principe de l’expérience, en raison de sa duperie naturelle (astuta). Dans un ouvrage intitulé Deconceptv Et Generatione Hominis et Iis Quae Circa, Jacob Rueff de Zurich parle d’un test dans lequel une aiguille de métal exposée à l’urine de la patiente enceinte, développerait une rouille, rouge ou noire. Un précurseur des tests modernes?

Jacques Guillemeau, un médecin français du 16ème siècle, écrit quant à lui que « une femme enceinte développe des yeux profonds, à la pupille contractée, de petites veines gonflées dans le coin de l’oeil« . On se dit que si le jeune docteur commençait chaque consultation par un long regard dans les yeux de sa patiente, le test de paternité était, lui, rendu plutôt superflu.

Tu as de beaux yeux, tu sais.

The rabbit died

Quelques siècles de recettes de grand-mère s’écoulent encore avant que la science, la vraie, ne vienne examiner les mécanismes  de la grossesse. En 1836, un médecin américain nommé James Read Chadwick démontre que les premières semaines de la grossesse sont marquées par une coloration bleue-violette des organes génitaux, due essentiellement à l’afflux sanguin. Mais, dans une société puritaine où le sexe est un sujet tabou, cette méthode n’a jamais connu de franc succès.

L’apparition des microscopes, et de la théorie microbienne, oriente d’abord les scientifiques sur un examen des différents composants de l’urine (cristaux, bactéries). Mais la percée scientifique viendra de l’étude des cycles menstruels, qui mettent en évidence les premières hormones. En 1925, on découvre la principale hormone de déclenchement de la grossesse, baptisée hCG.

Les choses prennent alors un tour dramatique pour les souris, rats et autres lapins de laboratoire. Car le nouveau protocole élaboré par Selmar Aschheim et Bernhard Zondek implique d’injecter l’urine de la personne testée directement à de très jeunes animaux, pour ensuite les disséquer et examiner une éventuelle réaction d’ovulation (anormale, en raison de leur jeune âge). Cette pratique laissera sa trace dans la culture populaire anglo-saxonne, où la phrase « le lapin est mort » (the rabbit died) est devenue synonyme d’un test de grossesse positif (alors qu’en réalité, le lapin était tué au cours du test, quelque soit le résultat).

Les scientifiques se mettent alors en quête d’un animal plus fiable qui pourrait servir au test sans passer par la case dissection. Et c’est un physiologiste britannique, du nom de Lancelot Hogben (ça ne s’invente pas) qui a découvert la sensibilité de la femelle du crapaud xénope du Cap (xenopus laevis) au test d’injection d’urine. Stimulée par l’hormone hCG, la femelle (crapaud, hein) se met à pondre dans les 24h.

Je crôa que vous êtes enceinte, madame.

Dans les années 1950, le test de Hogben est pratiqué dans les grands hôpitaux d’Europe et des Etats-Unis, mais avec une certaine discrétion, de peur que la demande n’explose et ne prenne de court les services hospitaliers. Les associations féministes ou de promotion du planning familial, proposent de procéder gratuitement au test, sans poser de questions sur les circonstances de la grossesse. Ailleurs, on n’a recours au test qu’en cas de danger médical pour la patiente.

La démocratisation des tests modernes

Dans les années 1960, la recherche en laboratoire progresse du côté des marqueurs immunitaires qui réagissent en présence de l’hormone hCG. En 1970, le test dit de Wampole permettait de tester très rapidement un échantillon d’urine, mais nécessitait la manipulation de plusieurs flacons, seringues, et le respect d’un protocole de test très précis.

Il faut attendre la fin des années 1970 pour que la révolution des tests grand public se manifeste. En mars 1978, le premier test à domicile et réalisable soi-même est rendu public, dans le magasine Vogue. La longue publicité explique, en trois colonnes, le principe et le fonctionnement du test. Très vite, le marketing s’oriente vers les avantages de clarté, de rapidité et de simplicité du test, en faisant disparaitre les références à l’urine ou aux anticorps utilisés. Les publicités mettent en scène des jeunes femmes élégantes mais taraudées par le risque de tomber enceintes.

La publicité exploiterait-elle l’insécurité?

D’autres reprennent l’iconographie populaire du lapin, en référence aux emblématiques tests de la décennie d’avant-guerre. On peut trouver une riche série d’exemples sur cette page du site du National Institute of Health. Le test est accessible, mais pas encore abordable (il coûtait entre 20 et 40€). Ceux que l’on connait aujourd’hui, dont les résultats s’affichent presque immédiatement, sera mis au point et commercialisé dans les années 1990.

Cet article a été composé à partir d’un grand nombre de sources web. On commencera par visiter la très claire chronologie des tests établie par le NIH, avant de consulter des articles plus détaillés comme celui de Random History, du blog Health and Family de Time, ou encore du très éponyme early-pregnancy-tests.com. Sur la médecine égyptienne, on peut consulter cette page très fournie, , cette autre page, et les traductions du Papyrus Kahun par Stephen Quirke.  Enfin, nous vous recommandons vivement la lecture de l’article When pregnancy tests were toads, un témoignage d’une jeune infirmière du NHS dans les années 1950 sur la pratique des tests de Hogben. 

Episode #17: Knock knock! Who’s there? Hou-dini’s there!

L'autre magicien qui s'appelait Harry

C’est dans la boîte les amis!

Avant Potter, il existait un Harry magicien. Harry Houdini (1874-1926), le magicien le plus célèbre du monde, encore aujourd’hui. N’en déplaise au télégénique David Copperfield, au déplorable et peu orthographiable Criss Mindfreak, ou encore à votre oncle JP qui fait super bien des tours de carte aux anniversaires, Houdini reste le seul, l’unique, le merveilleux.  C’est avec grand plaisir qu’il ouvre la saison de la chasse (non, ça c’est le prochain épisode, voyons) de Sans Faire d’Histoire, le podcast qui ne se laisse pas enchaîner!

Harry Houdini a été le premier magicien à savoir concilier talent, travail, et immenses capacités d’autopromotion. C’en était presque frustrant d’en faire un sujet radiophonique, à nous de faire marcher la magie des ondes podcastiques pour vous communiquer toute la fantaisie et l’enthousiasme de cet homme fascinant.

Au programme de cet épisode de rentrée, Zig et Puce vous expliquent comment faire disparaître un éléphant d’une scène new-yorkaise, quitter n’importe quelle prison des Etats-Unis en un temps record, et pourquoi il faut faire des abdos tous les jours (bonne résolution de rentrée).

Des samedis pareils, il y a de quoi se faire Harry-qui-rit

Des samedis pareils, il y a de quoi se faire Harry-qui-rit

NOTRE EPISODE MAGIQUE EST ICI

Rendez-vous comme toujours dans les commentaires pour des recommandations de lecture et des liens amusants!

PS: Baby, we’re back.

La rentrée de Sans Faire d’Histoire

C’est le début de l’automne, et Sans Faire d’Histoire est heureux de participer à la grande tradition des feuilles qui tombent, des jours qui raccourcissent et des soirées bien au chaud pendant qu’il pleut dehors, en reprenant la publication, toutes les deux ou trois semaines, d’un nouvel épisode sur un sujet historique et humoristique.

Zig et Puce sont heureux de vous offrir aujourd’hui un historique de la popularité de Sans Faire d’Histoire, illustrant le nombre de téléchargements cumulés par des comparaisons avec différents contenants, véhicules et rassemblements de personnes au cours des derniers siècles.

  • Le jour de l’enregistrement du premier épisode de Sans Faire d’Histoire, notre public au complet se résumait à nous mêmes. Imaginez donc Zig et Puce à bord d’une Smart.
  • Le lendemain, nous avions autant d’auditeurs que d’hommes américains ont été sur la Lune, c’est à dire très exactement douze.
  • Une semaine plus tard, notre public avait déjà suffisamment grandi pour remplir la mythique Table Ronde de la légende arthurienne (le modèle intime, soit 35 chevaliers, leurs serviteurs et leurs noix de coco).
  • A la fin du mois de septembre dernier, les auditeurs de SFdH auraient facilement rempli un bus standard de la RATP à l’heure de pointe. Zig et Puce savent quotidiennement à quel point cela peut représenter beaucoup de monde.
  • En octobre, nous aurions pu remplir une nouvelle fois la Table Ronde, cette fois le modèle avec rallonges, de 140 chevaliers. Le vote se fait alors à main levée ou par doodle sur parchemin.
  • En novembre, il y avait autant d’auditeurs que de personnes traitées au Vatican en 1887 lors de la grande épidémie de Choléra. Observez la subtile comparaison.
  • Décembre nous faisait atteindre 243 téléchargements, soit autant d’habitants que dans les communes françaises de Tourtrol (09), Pietroso (20), Concoules (30) ou Saint-Martin-Sous-Vigoroux (15). De quoi roncouler de plaisir et se sentir revigoroufié.
  • En janvier, nous aurions pu embarquer notre auditorat au grand complet dans six autocars modèle Colonie de Vacances de votre enfance. Le mois suivant, il nous faudra un TGV Duplex de la ligne Paris-Lyon, y compris la voiture bar, pour rapatrier tout le monde à la maison.
  • Les choses s’accélèrent puisqu’en février, si nous avions voulu accueillir nos auditeurs pour un enregistrement en live, il n’aurait rien fallu de moins spacieux qu’un centre de congrès tout entier, avec projecteurs et salles multiples. Heureusement pour vous, nous avons préféré continuer à poster nos épisodes directement en ligne, pour votre confort.
  • Le mois d’avril voit notre plus grosse progression jamais enregistrée, portant le nombre d’abonnés à 1500, soit le nombre de soldats du contingent de Hesse chargés de défendre New-York à la bataille de Trenton le 26 décembre 1776. Espérons que toute cette aventure finira mieux pour nous qu’elle ne s’est terminée pour eux.
  • En mai, nous envisageons d’offrir à chaque auditeur un voyage à l’autre bout du monde, mais devant le prix de la réservation de trois airbus A380 et demi, nous décidons d’attendre l’année prochaine.
  • En juillet, il y autant de téléchargements que de femmes s’appelant Barbara Murphy aux Etats-Unis. Coïncidence? Je ne crois pas.
  • En août, nous dépassons le nombre de personnes ayant voté sur IMDB à propos du film Delta Force 2: The Colombian Connection pour une note globale de 4/10. Nos deux commentaires sur Itunes, eux, nous créditent de cinq étoiles, ce qui nous rend très fiers.
  • Le mois dernier, nous dépassons le nombre de followers nécessaires pour faire perdre un pari très stupide à cette personne. Que demander de plus?

Depuis sa création, la fréquentation du podcast n’a cessé d’augmenter pour atteindre, à l’heure où nous écrivons cet article, 2531 téléchargements et/ou écoutes avérées. Merci à tous nos auditeurs, qu’ils soient assidus ou occasionnels! Si nos bavardages radiophoniques ont le moindre sens, c’est bien avant tout de les partager avec vous.

Les Spitfires perdus de Birmanie

Dans la première partie du film Godzilla de Roland Emmerich sorti en 1998, il y a cette scène ou le chercheur Nik Tatopoulos (Matthew Broderick) s’avance en regardant le front de mer de Manhattan et déclare: « regardez ça, c’est parfait! […] c’est un endroit où il peut se cacher facilement… il est là, quelque part… je le sens« .

Flûte! J’ai oublié la pellicule à la maison!

Cette phrase, si elle n’applique pas à un reptile haut de trente mètres dans une ville de plusieurs millions d’habitants, convient en revanche très bien au mystère qui va suivre. Sans Faire d’Histoire vous présente aujourd’hui une légende, une vraie.

Quelque part en Birmanie, pays de jungle, de rizières et de marais, des dizaines de chasseurs britanniques Spitfires Mk.XIV flambants neufs se trouveraient enfouis sous la terre depuis leur disparition subite à la fin de la seconde guerre mondiale. C’est un peu comme l’histoire de la boite à biscuits remplie de trésors que l’on cache au fond du jardin pour la retrouver quand on sera grand. Et comme nous prenons ce genre de cas très aux sérieux, nous tentons aujourd’hui de faire la part du vrai et du faux dans cette affaire.

On savait qu’il volait, et voilà qu’il y en aurait aussi sous terre!

J’irais revoir ma Birmanie…

Tout commence quand la guerre se termine, à l’été 1945. La Birmanie, occupée depuis 1942 par les Japonais, vient d’être libérée par les forces britanniques de la XIVe Armée qui opère depuis Calcutta. La Royal Air Force réoccupe alors la base aérienne de Mingaladon, à quelques kilomètres au nord de la capitale Rangoon. Mais le Japon n’a pas encore capitulé, et des convois entiers d’hommes et de matériel convergent vers le tout dernier théâtre d’opérations de la guerre. Entre juin et début août, plusieurs dizaines de chasseurs Spitfires Mk XIV, équipés de leurs célèbres moteurs Rolls-Royce Griffon, sont acheminés par bateau jusqu’à Mingaladon. Les 6 et 9 août, les Américains sortent leur plus gros calibre, et le Japon capitule, plus vite que quand Errol Flynn leur flanque une raclée dans Objective! Burma (décidemment, cet article vous recommande  de GRANDS FILMS).

Allô?! Nan mais allô quoi! #precurseur

On imagine le sentiment d’impuissance des officiers britanniques qui ont fait venir leurs meilleurs avions pour rien. Ils sont toujours dans leurs caissons d’origine, prêts à être déballés. Les avions, pas les officiers. En fait c’est comme aller à Ikea (la preuve ici) mais sans avoir le droit de monter les meubles! Sadface. Alors pour ne pas abîmer leurs beaux avions, ils demandent gentiment à une unité d’ingénieurs américains, les Sea Bees (de CB, Construction Brigade), de passage dans la région, de les aider à enterrer les caisses près de la piste d’atterrissage de la base.

Normal. La procédure quoi.

Oui, sauf que très vite après 1945, la Biffmanie se rebire et, en 1947, les Britanniques évacuent (en chantant Auld Lang Syne). Les Spits, eux, dorment gentiment à six dix quinze trente-six pieds sous-terre. Jusqu’à ce qu’un des ouvriers de la dite Construction Brigade américaine reparle du dossier, tout droit sorti du congélo, à un certain Jim Pearce, un ancien de la RAF, qui à son tour en parle au héros moderne de l’affaire, le gentleman farmer et archéologue amateur David Cundall.

En voilà un qui mange tous ses beans au petit dej.

RAF : Cold Cases

Cundall remonte la piste, à la recherche de témoins (dont certains ne sont déjà plus très frais). Il recueille des bribes de récits confirmant celle de l’américain. Des notes. Des archives. Le doute laisse place à une certitude: les avions sont toujours là, il faut aller les chercher. Blake et Mortimer David Cundall et son équipe organisent alors plusieurs voyages en Birmanie. Sondages et relevés électromagnétiques du sol convergent vers la présence d’objets métalliques mais sans apporter de preuve définitive.

En janvier 2013, des fouilles, très médiatisées, commencent à Mingaladon et dans d’autres anciennes bases qui auraient accueilli puis enterré des avions. On parle d’une découverte imminente. 12, puis 36, 60, 100, 124 et jusqu’à 140 avions sont réputés à portée de main! Comme quoi, les médias, ça vous gonfle un chiffre.

Mais voilà que la mission rentre bredouille, que le gouvernement Birman ne veut plus entendre parler des fouilles et que le pop médiatique devient un flop archéologique. Jugez plutôt les titres du site de passionnés War History Online:

6 janvier: L’équipe britannique à la recherche des chasseurs de la Seconde Guerre Mondiale arrive au Myanmar.

8 janvier: L’équipe britannique commence à creuser à la recherche de l’escadron des Spitfires perdus dans la jungle

9 janvier: FLASH INFO! Les fouilles pour les Spitfires de Birmanie mènent à une caisse en bois remplie d’eau

11 janvier: Des Spitfires en Birmanie? Pour le moment, que du vent!

23 janvier: Les Spitfires de Birmanie, l’histoire de l’obsession d’un homme (là, ça sent déjà le sapin)

1er février: L’équipe continue de poursuivre le rêve de trouver des Spitfires (aïe, aïe, aïe)

5 février: Les Spitfires fantômes de Birmanie: comment la légende est née (titre cool, mais dure réalité)

6 février: Un vétéran de la RAF déclare que l’histoire des Spitfires enterrés est tirée par les cheveux.

16 février: Les archéologues déclarent que les avions n’ont jamais été enterrés (bim!)

9 mars: L’échec de la recherche des Spitfires birmans est un succès scientifique (mais oui)

5 juillet: Les fouilles pour les Spitfires de Birmanie continuera en 2014 (#fauxespoir)

6 juillet: David Cundall demande 500 000$ de plus pour relancer les recherches (bien essayé, mais trop tard)

By Jove! Tout ceci ne serait en réalité qu’une manipulation?

On nous a roulé dans la boue!

Arguments minces, incohérences de chronologie, contre-témoignages accablants par des vétérans de la RAF stationnés sur place, tradition avérée des volontaires de la Construction Brigade à exagérer leurs exploits dans le Pacifique… Les sites internet du monde entier (en fait, quelques rares forums de passionnés) se sont relayés pour démonter le dossier de Cundall. En particulier, les auteurs de Spitfires Survivors, un livre qui retrace le destin de chacun des 22 779 Spitfires jamais construits, déclarent qu’ils n’ont trouvé:

« … aucune incohérence, aucune livraison manquante, aucune preuve comme quoi Lord Moutbatten, alors Commandant Suprême des Alliés dans le Sud-Est Asiatique, aurait donné des instructions pour mettre ces avions au rebut. Aucun avion n’a même été envoyé directement par la mer en Birmanie, et ceux qui ont atteint la Birmanie en volant depuis Bombay ou Karachi n’ont connu que très peu de décomissions en 1945 ou 1946. L’idée de 124 avions décommissionnés à cette période est un pur fantasme ».

Et c’est parti pour de longs mois de querelles sur les forums des internets, à grand coups de cartes dessinnées à la main et de scans de carnets de rumeurs dans lesquels des passionnés notent frénétiquement toute référence au sujet. Le présent article finira dans un de ces carnets, je suppose.

Les défenseurs des Spitfires perdus, eux, répondent en dérivant l’histoire: les Spitfires seraient arrivés bien plus tard (1952-53), les caisses n’auraient pas été enterrées mais recouvertes par la boue charriée par la mousson, tout a disparu dans l’extension de l’aéroport en 1947, ou alors il s’agit d’un escadron secret qui n’aurait jamais été testé en sortie d’usine et donc n’apparait pas sur les livrets d’équipement classiques.

Mais bien sûr.

Oui, mais pourquoi donc?

C’est la question que Sans Faire d’Histoire s’est posée, mais à laquelle personne ne répond jamais. Pourquoi la RAF aurait-elle enterré entre 36 et 140 avions flambant neufs dans un théâtre de la guerre qu’elle se préparait à quitter? Il y a eu de nombreuses légendes d’avions enfouis par les Nazis, réservoirs pleins et bombes chargées, attendant l’heure propice pour un retour triomphant dans la guerre. Mais celle-ci ne semble répondre à aucune justification. La plupart des Spitfires ont eu une seconde vie dans les armées de pays alliés ou décolonisés (France, Israël, Inde, et même la Birmanie indépendante d’ailleurs). Pourquoi ces appareils auraient-ils été enterrés et non vendus? Même en considérant que les Britanniques étaient pressés de partir, des convois partaient tous les mois pour l’Inde ou l’Angleterre, rapatriant les combattants démobilisés. Tout cela n’a aucun sens!

Eh bien voilà le sujet du prochain article, n'est-ce pas?

Le sujet du prochain article est tout trouvé, je crois.

A moins que…

Puisque cette histoire verse dans la théorie du complot, Sans Faire d’Histoire prend les devants et propose l’explication suivante: Les avions ont bien été enterrés, puis déterrés en secret par l’équipe de David Cundall. A l’heure qu’il est, David n’est plus joignable chez lui. Mais quelque part au-dessus de la Mer Adriatique, peinture rutilante et moteurs rugissant au-dessus des nuages, il reconstitue avec ses amis de formidables batailles aériennes de 140 Spitfires Mk.XIV. Gros. Veinard.

Cet article n’aurait pas été possible sans l’application presque religieuse avec laquelle le staff du site War History Online a couvert les évènements tout au long de l’année 2013, avec bien plus de détails qu’aucun journal en ligne. Les membres de The Aviation Forum reçoivent notre éternelle fascination pour leurs interminables discussions sur le pour et le contre dans l’affaire des Spitfires perdus. Et pour ceux qui se sentent aussi perdus que les Spitfires, Sans Faire d’Histoire a compilé un petit dossier technique rassemblant les principales sources, témoignages, et reconstituant la chronologie des évènements. Au cas où vous passeriez à l’Aéroport International de Yangoon et que vous avez du temps entre deux correspondances…